Bordeaux : quel budget pour les précaires ?
Lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion… C’est le combat porté par le dernier projet social de la ville, initié en 2009. Du moins, sur le papier. Mais en y regardant de plus près, le budget consacré à l’urgence sociale est bien maigre par rapport à celui de la jeunesse ou de l’éducation.
Lutte contre la précarité : engagement ou vitrine ?
Le projet social 2009-2013, initié par la mairie, est l’un des piliers du programme d’actions engagées pour construire l’avenir de Bordeaux, avec l’agenda 21 et le nouveau Projet Urbain. Après la réduction de la fracture sociale, le renforcement de la fraternité, le troisième projet s’attaque aujourd’hui à l’exclusion.
Dans sa version disponible en ligne, l’équipe municipale affiche clairement sa volonté de « porter un autre regard sur l’exclusion » ou encore « faire reculer la pauvreté et les inégalités ». Du social « pur et dur ». Mais derrière les grands discours, quand on épluche le budget social et écarte les financements aux écoles, aux seniors ou à la petite enfance, il ne reste plus grand chose pour l’aide aux plus démunis.
Au premier coup d’œil, on remarque une augmentation d’un peu plus de 18 840 € du budget social de la ville entre 2009 et 2013. Paradoxalement, la part consacrée à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion baisse elle de 295 755 €. En quatre ans, on s’aperçoit que l’urgence sociale est ramenée au second plan. Si le budget qui lui est consacré reste stable, sa part dans le budget global ne fait que décroître. Le combat phare du dernier projet social semble relever plus du discours que d’une réelle volonté de changement.
Problème de clarté
Non seulement l’urgence sociale n’est pas une priorité, mais la composition du budget social de la ville est un vrai casse-tête. La classification « vie en société », censée financer les besoins sociaux, regroupe en réalité les postes éducation, jeunesse, petite enfance, développement social territorial et seniors, en plus du poste « cohésion sociale transversale » consacré, lui, à la lutte contre la précarité et l’exclusion. Dans le social, on regroupe donc la vie scolaire, la prévention de la délinquance ou encore les équipements dédiés à l’éducation. En clair, le « social », prend en charge aussi bien le renouvellement des équipements informatiques à l’école primaire que la mise en place d’un espace numérique de travail qui concerne assez peu les précaires.
Qu’en disent les élus ?
Matthieu Rouveyre, la communication sociale
Conseiller général de la Gironde, élu sur le Vème canton de Bordeaux et membre de la commission Finances et Affaires juridiques de la ville.
« La politique de la ville, c’est la chasse aux pauvres. Moins ils en font, plus ils en parlent. Il y a un vrai manque de volonté politique. »
Alexandra Siarri, un effort équilibré
Adjointe à la mairie, chargée de la lutte contre les nouvelles précarités
L’adjointe au maire défend le programme : « Le projet social ne représente pas l’ensemble de l’action sociale, ce sont des actions d’innovation sociale. »
Difficile de définir une politique sociale pour l’adjointe au maire, les frontières sont ténues. Tout ce qui participe au social n’est pas forcément inscrit en tant que tel sur la ligne budgétaire « social » : logement social, sport, gratuité de l’accès à la culture…
« Si on doit séparer, dans les affaires sociales, la question du vivre ensemble et celle de la précarité, la ville n’investit pas plus dans l’un que dans l’autre, se défend Alexandra Siarri. De même qu’elle n’investit pas plus les personnes âgées qu’elle investit les jeunes. » Il n’y aurait pas de question prioritaire pour la mairie, qui produit un « effort » auprès d’un « public très varié ». Et elle n’oublie pas de rappeler que la lutte contre la précarité et la grande marginalité est de la compétence de l’État, pas de la Ville.
Véronique Fayet, une mairie leader du social
Adjointe à la mairie, chargée des politiques de solidarité, de santé et des seniors
« La ville n’a aucune compétence dans le social, c’est pourtant la première à qui s’adressent les populations locales en difficulté. Ce constat a été l’hypothèse de départ du 3ème projet social de la mairie.
C’est donc la responsabilité du maire de s’assurer de la qualité des services et du bon fonctionnement des institutions concernées. Mais en plus, il donne du sens et valorise le travail des associations. Les actions ne sont pas à juxtaposer mais bien à relier entre elles pour un « mieux vivre ensemble ; fraternité ; solidarité » notions au cœur de notre projet initiative. Ce qui peut expliquer le flou des lignes budgétaires qui regroupent parfois jeunesse, social et activités sportives.
Sur la véritable urgence sociale, la mairie n’est plus du tout dans son domaine mais elle peut soutenir des projets auprès du département ou de l’État : c’est un chef de file politique. »
La voix des assos
Halte de nuit et ASTI, une politique « active »
Virginie Hérisson, directrice de la Halte de nuit, structure d’accueil de nuit pour les sans-abris, reçoit 70 000 euros de la mairie.
Le reste est financé par le conseil général et par l’État. « La mairie fait déjà un effort important, car elle n’est pas concernée juridiquement par notre action : il s’agit du domaine de compétence de l’État. Elle nous soutient au-delà de ce qu’on peut espérer. » Avec cette somme à disposition, Virginie Hérisson ne peut être que satisfaite de la politique sociale de la ville, qu’elle juge « extrêmement active » à l’instar de l’association de Solidarité avec les Travailleurs Immigrés (ASTI) qui reçoit 3 500 euros de la ville : « Les sommes ne sont jamais suffisantes mais ça correspond à nos demandes. Même plus en 2012 ! »
Proposant des permanences juridiques et administratives, l’association dispose aussi de cours de français et d’alphabétisation afin de favoriser l’insertion sociale des travailleurs immigrés. « Je ne vais pas épiloguer, la politique sociale de la ville n’est pas mal faite. Mais la mairie connaît nos activités, nous avons aussi des démarches militantes qui peuvent les embêter, confie Michèle Chevallier, la trésorière de l’association. Elle ne peut pas les financer, c’est logique. Pour l’accès au droit, les permanences administratives sont financées sous l’appellation ‘interprétariat et écrivain public’. »
Médecins du Monde, « on ne peut pas communiquer »
Médecins du Monde (MDM) a de la même manière des combats qui dérangent. L’objet de tensions entre l’ONG et la mairie : les camps de Rroms. En février dernier, MDM avait dénoncé l’expulsion de deux d’entre eux.
Les subventions peuvent difficilement baisser : sur les 10 000 euros qu’ils demandent chaque année, MDM en a reçu 1 500, en 2011 et 2012. « On n’a pas vraiment envie de communiquer sur cette question car nous sommes en discussion avec la mairie pour les subventions annuelles, fait pourtant valoir aujourd’hui David Bridier, coordinateur régional de l’association. Je ne pense pas que le fait que nous ayons critiqué l’expulsion des deux squats ait pu changer les choses du point de vue financier. »
« La ville de Bordeaux s’investit probablement plus que la région ou l’État pour les Rroms. Ils ont déployé des médiateurs, ce qui représente déjà beaucoup sur cette question. Mais il reste énormément à faire. »
Nastasia Haftman, Frédéric Leclerc-Imhoff et Amandine Sanial