Performances athlétiques : vers la fin des records ?
Les Jeux Olympiques battent tous les quatre ans des records d’audience mais les performances sportives, elles, ont tendance à stagner. 4 disciplines, 20 olympiades : focus et explications.
100 mètres, 800 mètres, saut en hauteur et lancer de disque. L’observation de ces disciplines aux JO depuis 1928 montre une augmentation des performances en 3 phases : jusqu’au milieu des années 50, elles progressent lentement, puis jusqu’au milieu des années 80, la croissance s’accélère – temps réduits, sauts plus hauts, lancers plus lointains – et depuis cette période, elles stagnent. Cela s’observe aux JO mais également dans les records du monde qui sont très anciens dans ces disciplines. Hommes et femmes confondus, 6 des 8 records du monde observés datent de plus de 20 ans. Un palier de performance se forme aujourd’hui, marquant peut-être la fin de l’augmentation des performances, sauf athlète exceptionnellement doué ou dopé.
L’Institut de recherche biomédical et épidémiologique du sport (IRMES) estime que les limites physiologiques de l’espèce humaine seront atteintes vers 2027. Fin des records ? Arnaud Waquet, historien du sport à l’Université de Lille, n’est pas aussi catégorique. Pour lui, l’évolution morphologique humaine couplée au dopage génétique permettra aux athlètes d’améliorer certains records du monde, notamment le 100 mètres.
L’évolution des performances des hommes et des femmes suit une trajectoire parallèle. Même si la performance féminine a augmenté sensiblement au point de dépasser la performance masculine d’il y a 50 ans dans certaines disciplines, l’écart physiologique, lui, reste constant.
Diminution des temps en trois périodes pour les hommes comme pour les femmes. La progression des hommes est plus faible que celle des femmes. Pourtant, ils sont les seuls à améliorer constamment le record et continuent encore de le faire aujourd’hui.
L’évolution des performances est multifactorielle. L’évolution de l’équipement dans la période après-guerre est un facteur significatif. L’apparition des pointes est un élément clé de l’amélioration des performances. Idem avec la généralisation de l’utilisation des starting-blocks aux JO de Londres en 1948 et des chronomètres électroniques en 1968. Le changement de surface des pistes d’athlétisme peut aussi être une variable explicative, mais de plus faible importance. La professionnalisation des athlètes à travers leurs techniques d’entraînement constitue une dernière explication.
Certains records restent cependant entourés de questions liées au dopage. C’est le cas pour celui de Florence Griffith Joyner, en 1988, qui semble intouchable. L’athlète est morte dans des conditions suspectes dix ans plus tard. Un vent trop favorable à l’athlète américaine (+ 7m/s) et non pris en compte pourrait également expliquer cette performance.
Usain Bolt (2009) 9.58 s
Florence Griffith Joyner (1988) 10.49 s
Les femmes participent aux Jeux Olympiques sur le 800m à partir de 1960. Les performances hommes et femmes ont des trajectoires bien différentes, semblables au 100 mètres. Les performances féminines entre les années 60 et le début des années 80 augmentent: le temps moyen passe de 2,04 min à 1,55 min. Les performances sont ensuite en dent de scie et le record du monde progresse faiblement. Chez les hommes, le record du monde baisse de manière lente et régulière depuis l’inscription du 800m aux Jeux Olympiques: 1,45 min en 1960 pour 1,40 min en 2012.
Les facteurs explicatifs sont les mêmes que pour le 100m : la professionnalisation des athlètes, les entrainements physiques et psychologiques, la préparation, la nutrition, les combinaisons …
Les performances en hauteur connaissent trois périodes de progression. Le parallèle entre les courbes des hommes et des femmes est flagrant. La stagnation actuelle des records du monde montre qu’un palier semble définitivement atteint dans cette discipline.
L’accroissement des performances en hauteur est principalement dû à l’amélioration de l’entraînement des athlètes et de leur technique (course pré-saut, impulsion). Un accroissement apparu après les années 1950, date du début de professionnalisation des athlètes.
L’évolution des techniques de saut au fil des années explique surtout l’augmentation des performances: ciseau, ventral et enfin la technique du Fosbury flop. Au milieu des années 1960, l’athlète américain Dick Fosbury invente une nouvelle technique de saut: le dos parallèle à la barre. Il devient champion olympique à Mexico en 1968 avec cette technique.
Malgré la généralisation de cette technique, les performances se stabilisent depuis 1993 avec le saut de Javier Sotomayor à 2,45m. Si certains experts pensent qu’un record à 2.50m est atteignable avec le Fosbury flop, il faudrait en inventer d’autres pour espérer une réelle avancée des records. L’évolution du règlement pourrait permettre de nouveaux records du monde: par exemple, une impulsion sur les deux pieds.
Dick Fosbury (1968) 2.24m
Javier Sotomayor (1993) 2.45m
Le disque homme pèse 2 kg contre 1 kg pour les femmes. Les courbes montrent pourtant un écart significatif entre les hommes et les femmes avant la seconde guerre mondiale. Puis les femmes réduisent cet écart jusqu’à une inversion des courbes lors des JO de 1972. Hommes et femmes connaissent ensuite une période de stagnation dans leurs performances depuis le milieu des années 1980. A l’heure actuelle, le disque reste le seul sport où le record féminin est supérieur au record masculin.
« Le sport féminin a bénéficié d’investissements financiers et techniques importants. L’Allemagne de l’Est a obtenu un nombre considérable de records du monde, en misant sur des disciplines féminines avec un espace de manœuvre très large », explique Marion Guillaume, chercheur à l’INSERM. Si le lancer de disque féminin a bénéficié de tant d’investissements, notamment en URSS, c’est aussi pour des conditions géopolitiques. La guerre froide sévissait à cette époque et les deux blocs menaient une lutte féroce sur le plan sportif. Plus de 80 % des records du monde d’après-guerre chez les femmes ont été établis par des athlètes soviétiques, ou issues du bloc communiste, contre un peu plus de 30 % chez les hommes.
Le dopage et l’absence de contrôles expliquent également cette évolution. Les contrôles anti-dopage modernes et inopinés apparaissent seulement dans les années 1990. En 2012, la médaillée d’or à Londres était à près de 8 mètres du record du monde établi en 1988.
Aujourd’hui, les performances stagnent depuis une vingtaine d’années. « La chute de l’URSS a fait que la compétition s’est amoindrie, tout comme l’enjeu. Les nouveaux pays n’ont plus cette culture de la gagne » conclut Marion Guillaume.
Maxime Fayolle, Jérémy Jeantet et Damien Renoulet